L’EGOTRIP DU GRAND NOUMÉA

TROUVER SES REPÈRES DANS LA CITÉ

La scène rap a d’emblée reflété la diversité des communautés présentes dans le Grand Nouméa. Les thèmes liés à la vie urbaine irriguent bien sûr les textes, qu’ils soient sociétaux (inégalités économiques, détérioration du tissu communautaire) ou environnementaux (pollution)… En 2003, la Section Otoktone sort un EP au titre évocateur : On vient de la rue… Le morceau La Calédonie casse la carte postale :

Section Otoktone

 … Ici le décor des îles est mélangé avec ce goût infect… du décor des villes… Ici le sable est capable de se mélanger au ciment, tout ça pour faire du béton Ici les nuages se mélangent – apparemment, ça arrange… – à la fumée du nickel Y a trop de poussières dans notre air pour avoir… les poumons nickel… 

En 2006, Ybal Khan partage le vécu et le ressenti d’une Jeunesse urbaine qu’il qualifie dans le refrain de « prisonnière du béton » :

… J’ai grandi dans la City, perdu et sans boussole 

Et vu que parfois les frères se perdent aussi, nos mères s’affolent 

Le malaise se ressent car j’ai le cul entre deux chaises…

Avec Pour tous les quartiers, il renouvelle un an plus tard l’hommage à cette jeunesse qui tente de s’inventer de nouveaux repères. Parmi les thématiques relevées par les différents rappeurs kanak s’impose le contraste entre un terroir tribal et les racines, et l’univers rude et anonyme d’une agglomération avec ses tentations, ses écueils et ses nouveaux codes. Les hommages à des proches disparus ou l’affirmation de solidarités nouvelles entre quartiers s’expriment aussi, plus ou moins cryptées. Aux portes de la ville, le Camp Est est régulièrement évoqué dans les textes, comme un jalon entre ombre et lumière.

UN NO RAP’S LAND ?

Il n’existe pas de lieu emblématique réservé aux concerts de rap : au fil des années, les événements spécifiques (Rap Party, Stop la Violence, Pour Exister, Mix en Bouche…), les apparitions lors de festivals plus généralistes (Femmes Funk, Francofolies…) ou les scènes dans des lieux culturels (Théâtre de l’Île, Mouv, Centre Culturel Tjibaou…) se suivent mais se rééditent peu. Au fil des générations, ce sont certains bars (l’Imprévu, le Bohême) ou enseignes (Hot Spot) qui font figure de repaires, pour la circulation des CD ou leur programmation hip-hop.

Resh

NAISSANCE D’UN PARLER URBAIN

Les paroles s’inscrivent également dans un jeu constant d’allers-retours entre des références liées à un parler calédonien (Maré Monf de LTC ft LOPS) ou aux quartiers du Grand Nouméa, et l’influence d’un argot en provenance des grandes villes françaises. Quelques tentatives, encore timides, de rapper en langue vernaculaire émergent (Resh, Holsh ou Simanë en qene drehu, Louxstyle en ajië…).

Patrice Kaikilekofe

aka Bisco dans le collectif Apolstoa-33

« J’ai grandi en ville, en périphérie de Nouméa. On se reconnaît un peu dans cette mouvance parce qu’on est tout le temps en ville, l’école d’art se trouve en ville, on côtoie les écoliers en ville… on se sent stimulés par ça. À l’époque, on agissait un peu en commando ! Il y avait le monde de la nuit, avec des équipes qui zonaient un peu par ci par là, à faire du graff. On avait donc effectivement l’occasion de se retrouver la nuit, dans un studio de musique ou à l’extérieur, que ce soit au pied d’un bâtiment ou au pied d’un mur, et même à l’École ! Mindia était vraiment le lien de tout ça. »

PRÉCHAL

Pionnier de la scène rap des années 90

« Beaucoup de jeunes ayant grandi dans le monde urbain, qu’ils soient métisses, viennent des îles ou d’ailleurs, ont été en rupture culturelle ou familiale. Dans ce cas-là ces jeunes se raccrochent à une culture : c’est souvent le hip-hop. En général, s’ils restent dans l’art, ils reviennent à leur culture, à leurs racines ! »

YBAL KHAN

Rappeur des années 2000-2010.

« Même si on aurait tendance à croire qu’une culture urbaine nous éloigne de notre culture d’origine, ici ça n’a pas été le cas. Le hip hop a été comme une greffe, qui m’a permis de renouer avec ma culture, mon identité kanak et mes convictions. »

LENIMIRC

« Il y a les gens qui disent que la vie à Nouméa est facile… En vrai comme partout, il y a des faces cachées. À la tribu aussi il y a des faces cachées, mais Nouméa c’est pire je pense… On dirait pas mais c’est dangereux ici ! Faut dire dans les textes, comme ça les gens ils captent. Les mecs, faites attention à vos sœurs ! Les filles aussi, elles descendent de la tribu, elles sont influencées après… Tu vois des vidéos de n’importe quoi, des mecs qui se font péter la gueule parce qu’ils croient qu’ici c’est pareil qu’à la tribu… Faut faire attention avec les trucs comme ça. Nouméa c’est un autre monde… »