Le projet des élèves de l’UNC contre les micro-agressions linguistiques

par | Mar 16, 2023 | Graff, Interview, Slam

Elatiana Razafi (professeur à l’UNC), Pablow (responsable de la médiathèque du Mont-Dore), Sham’graff et Dr Fabrice Wacalie ont développé avec des élèves un projet artistique afin de dénoncer les formes de violences symboliques et les micro-agressions linguistiques qui engendrent des sentiments d’exclusion, d’illégitimité et d’abandon.

Les élèves de l’université de nouvelle-calédonie utilisent des techniques street art pour faire passer un message concernant les micro-agressions.

En 2018 vous avez réalisé un projet de Street Art. En quoi consistait ce projet et quel était l’objectif visé ?

Le point de départ est universitaire avec des objectifs formatifs (développer des compétences dans la gestion de la diversité linguistique) et scientifiques (comprendre les causes de l’insécurité linguistique). Une soixantaine d’étudiant·e·s de l’université de la Nouvelle-Calédonie y ont pris part. Leurs récits ont permis d’identifier les effets destructeurs de petites remarques d’apparence anodine voire-même élogieuse, par exemple : « Tu parles bien le français pour un mec des îles ». Leurs récits ont ainsi donné naissance au concept que nous avons appelé « micro-agressions linguistiques »[1] et, par ricochet, à un projet intitulé « AK-100 » dédié à promouvoir les centaines d’accents du pays en nous inspirant du Street Art.

[1] Les articles scientifiques que nous avons publiés à ce sujet sont libres d’accès en ligne : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2019-1-page-156.htm ; https://journals.openedition.org/lidil/7477

Nous avons invité les étudiant·e·s à réaliser un autoportrait affichant une remarque particulièrement inhibante à leurs yeux. Les images reçues ont été saisissantes et révélatrices de la complexité des rapports entre les jeunes, leurs accents et les langues qui les entourent. En découvrant les autoportraits, PaBlöw a insufflé l’idée d’en faire une exposition dans l’esprit du Street Art. L’artiste graffeur Sham Graff’ a rejoint l’aventure en aidant les étudiant·e·s à esthétiser leurs autoportraits avant d’aller les coller sur les murs du Rex, du centre-ville et de la FOL.

C’est donc par une médiation Street Art qu’un collectif insolite d’artistes, d’étudiant·e·s et d’enseignant·e·s-chercheur·e·s a pu collaborer avec pour objectif transversal de mieux visibiliser les micro-agressions linguistiques, soit une forme de violence symbolique, rampante, insidieuse et en cela aussi redoutable qu’« invisible ».

Pensez-vous que l’échange culturel est synonyme de richesse?

La prise en compte de l’histoire et de l’ailleurs rend hasardeux de répondre à cette question de façon catégorique…

Pour notre part, nous dirions que le produit de l’échange culturel dépend des motifs et des volontés avec lesquels il prend place. La manière dont on reconnaît (ou pas) les autres cultures jouent aussi sur l’équité de l’échange. En quelques mots, pour qu’il y ait « richesse », il faut une reconnaissance mutuelle et avoir non seulement la volonté d’échanger avec l’autre mais, de façon plus exigeante, avoir la faculté de changer sans pour autant devenir l’autre.

Il y a l’idée de « tensions positives » dans le sens où ce que tu apprends de l’autre t’enrichit et fait évoluer ta façon de comprendre le monde qui t’entoure sans pour autant renier les fondements de ta propre vision. La somme des expériences culturelles complète toujours un peu plus cette vision et t’aide à relativiser tes propres croyances. » (Fabrice Wacalie)

Selon vous l’exposition dans la rue est-elle un bon moyen de s’exprimer ?

 Nous concevons le visuel comme une voie de connaissance à part entière (l’une de nos premières stratégies d’apprentissage dans nos premières phases de vie est bien l’imitation) donc sans hésitation, nous répondrons avec un grand « OUI » ! Pour autant, le visuel n’est ni le seul, ni le meilleur mode d’expression ou de connaissance. Il est surtout celui auquel nous nous intéressons le plus.

A titre illustratif, nous avons pu observer le pouvoir émancipateur des démarches expo graphiques et performatives dans le cadre de nombreux projets (pédagogiques et scientifiques) visant à mieux faire reconnaître les personnes qui se voient pointées du doigt en raison de leurs langues. Le fait d’exposer/de performer par les arts ou le récit une expérience personnelle en public libère la personne du statut de celle qui subit une violence ou une injustice : elle devient effectivement celle qui agit, qui sait agir, qui sait. En parallèle, un acte expo graphique/performatif confronte la société à ce qui est habituellement relégué à l’espace privé, ce qui oblige à renouveler les évidences et crée du débat social.

« Le pouvoir figeant des photographies est un caractère important que nous avons voulu exploiter. Les stigmates subis sont figés dans le passé et prétend donner la possibilité aux victimes d’en faire le deuil pour avancer. » (Fabrice Wacalie)

On peut voir l’exposition par les arts ou le récit comme un mode de communication aux pouvoirs multiples : l’expression, l’émancipation, le mouvement social.

« Exposer dans la rue c’est jeter son œuvre aux yeux de tous. Que ce soit de l’humour ou pour faire passer un message, les murs ont toujours porté l’expression du peuple. L’idée de coller ces visuels dans la rue, c’était poser la problématique au cœur de la cité : que chacun aujourd’hui se pose la question « ai-je déjà été victime ou moi-même agresseur ? »

Vivre en Calédonie c’est quotidiennement croiser de multiples cultures et, de fait, tenter de se rendre légitime face aux autres. Je pense que tous les calédoniens ont déjà subi des microagressions linguistiques et ont pu en dire aussi (même en blaguant). Afficher ces photos, c’est aussi une manière de dire qu’aujourd’hui on y prête attention. Et, à l’instar des messages collés par le collectif féministe « collages de mass[1] », c’est apporter du soutien à ceux qui souffrent de ces micro-agressions. Car on peut en souffrir ! » (PaBlöw)  

 

[1] https://www.instagram.com/collages_de_mass/?hl=fr

Avez-vous déjà été victime de micro-agressions linguistiques ?

 Oui ! « Ah ! ça s’entend que t’es pas d’ici ! », « C’est drôle, on n’arrive pas à voir d’où vient ton accent ! »

 Tant qu’il y aura la diversité linguistique, il y aura des micro-agressions linguistiques alors c’est aussi signe d’échanges culturels. Simplement, cet échange est abordé avec un biais dominant-dominé·e où l’un des partis se positionne en tant que norme de référence.

Le but de notre projet n’est pas d’éradiquer les micro-agressions linguistiques, ce serait illusoire mais plutôt de participer à une meilleure conscientisation de ce phénomène latent.

« Ça permet aussi d’aider ceux qui en sont victimes de s’en émanciper pour « vivre avec » et éviter le mutisme dans lequel on se terre souvent. » (Fabrice Wacalie)

Nous avons eu vent qu’un séminaire se préparait et que vous en étiez à l’initiative. De quelle manière comptez-vous exprimer ces micro-agressions lors de votre futur séminaire ?

Un premier séminaire avait eu lieu en 2019 sur la thématique « Le Hip Hop comme passerelle didactique » (affiche en PJ) et depuis, l’entrelacement entre le Hip Hop et les savoirs académiques se fait de plus en plus prégnant localement et globalement. À présent, l’initiative collective vise à aller voir quels savoirs sont produits par les arts du Hip Hop ou pour l’univers qu’ils représentent.

Nous présenterons le projet « AK-100 » avec les micro-agressions linguistiques en Street Art par le biais d’une vidéo créée avec Ritchi Togna. On espère bientôt pouvoir partager avec vous la programmation finale, la date pressentie est le 25 avril prochain, 16h30-18h30, au Rex.

Pourquoi la culture urbaine est-elle source d’échange culturel ?

 Quand on parle de culture urbaine, nous y associons notamment l’« urbanisation de l’espace », c’est-à-dire la transformation (profonde, historique et continue) d’un lieu de vie et donc d’une manière de vivre en société. Cette transformation est généralement impulsée par une mobilité démographique vers un même pôle urbain. De ce fait, ce qu’on appelle « culture urbaine » renferme plus précisément une multitude de cultures et des repères culturels. L’échange culturel peut alors être vu comme un facteur de bien-être voire d’une condition de survie dans un espace où la cohabitation avec l’autre est une réalité inévitable. Sous un angle plus pessimiste, cette cohabitation peut être perçue ou vécue telle une contrainte (la malédiction de Babel en quelque sorte) et dans ce cas, l’échange culturel sera davantage décrié, maudit, acculé d’être la cause de tous les maux identitaires… Entre une culture urbaine féérique et celle maléfique, émerge la culture nouméenne avec des codes de socialisation distinctifs dont les métissages entre le Hip Hop, les arts kanak, les ancrages océaniens et les aspirations venues d’ailleurs encore. Reste à voir le rôle que chacun·e souhaite écrire face à ces dynamiques en émergence certes mais non moins en force.

Extrait du séminaire de 2019

« Les cultures urbaines ont un réel potentiel ici car, quand on grandit dans ce pays, on peut souvent être amené à « se dépasser » : sauter dans un trou d’eau de plusieurs mètres, plonger à 10 mètres remonter une langouste, apprendre à tirer au fusil pour chasser, grimper aux arbres pour cueillir les letchis du voisin, se faire courser par les chiens du quartier quand on fait du vélo… les gens d’ici disent « kayafou » pour nommer quelqu’un d’un peu fou, qui prend des risques, qui n’a pas peur de s’éclater au sol. Plus d’un danseur de breakdance calédonien a été surnommé « kamikaze ». Que ce soit dans le skate, le surf, le parkour, le tricking[1] ou le break… Ces cultures « underground » (devenues discipline sportive officielle, cf. les JO Paris de 2024) attirent des gens qui aiment repousser leurs limites. Et audela des dangers, la pratique de ces disciplines sont une réelle ouverture sur un monde nouveau : le hip hop venu des USA rassemble toutes les couleurs et touche tous les pays, combien de danseurs ont louchés devant les battles des Coréens ou des Japonais ? Le surf et le skate ont amené un style vestimentaire, une façon de vivre.  Et avec ces passions, de nombreux calédoniens se sont envolés vers de nouvelles contrées pour continuer à pratiquer leur art et tenter d’en vivre. » (PaBlöw)

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