Charles Brécard aka Saïd, un voyageur de la danse
Crédit photo : Maurine Tric
Le déclic a été le film « Steppin », la première scène était un gros battle underground et je découvrais alors : Tight Eyez, l’un des pionniers de cette danse puissante nommée Krump. Je n’étais pas quelqu’un d’hyper sportif. Je pratiquais un peu de taekwondo ou du tennis, mais voilà ma moyenne en EPS était de 8/20… Moi, ma came c’était les jeux vidéo ! Des heures et des heures perdues dans l’univers 3D de Counter-Strike ou de World of Warcraft. Alors, quand j’ai vu ce film, j’ai immédiatement cherché où est-ce que je pouvais en faire. J’étais à Montpellier en France, j’avais un peu essayé le Popping, les bases…J’avais aussi acheté un DVD avec des tutoriaux mais dur de se motiver. Une fois rentré au pays, je suis tombé sur les cours du grand frère Yoan Ouchot au Centre Culturel du Mont-Dore. Il m’a initié au Krump, présenté la bande du damier puis au fur et à mesure je me suis mis à faire du Bboying, en espérant que ça pouvait me nourrir dans ma créativité. À force de pratiquer, j’ai rencontré Astro (Gros black !!) qui m’a intégré à Urban Breakers Crew, avec qui j’ai façonné mes armes, forgé de puissantes amitiés et solidifié mes racines. Je suis vietnamien, même si mon nom dit le contraire, mais je suis surtout un enfant du pays qu’on appelle Kanaky ou Nouvelle-Calédonie.
À travers le hip-hop, j’ai pu côtoyer la vraie richesse culturelle de notre île. Car au-delà de la couleur, il y a les valeurs, et ce sont celles-ci qui m’ont lié, comme les liens d’un geste coutumier, à toutes les personnes que j’ai croisé. De fil en aiguille, j’ai vogué à travers les multiples styles du hip-hop, appris la danse trad’, pris des cours de contemporain au Rex avec des professeurs invités comme Mic Guillaumes, puis finalement avec Florence et Quentin de Moëbius.
Il y avait la Compagnie Accrorap, « petiteshistoires.com » premier spectacle de danse hip-hop dans un théâtre auquel j’ai assisté. Quand j’ai compris qu’on pouvait faire ça…tout a changé. Après avoir fait quelques battles avec la bande, j’ai commencé à danser dans des compagnies en apprenant sur le tas, Troc-en-Jambes (Véronique Nave), Posuë (Soufiane Karim), Nyian (Richard Digoué)…et avec eux, je tournais avec le Chapitô. Mon désir premier n’a jamais changé…Comment faire pour fusionner tous ces styles qui attisent ma curiosité ? Qu’est-ce qui relie leurs forces, leurs principes, leurs philosophies ?
Avec ça en tête, j’ai atterri au Canada, à Montréal ou dit en langue indigène, Tio’tia:ke, « Là où le groupe se sépare ». Et clairement oui, je me suis retrouvé tout seul. J’ai commencé à apprendre le massage sportif, en espérant pouvoir revenir avec un autre savoir, puis éventuellement continuer sur ma lancée comme danseur et arrondir les fins de mois en traitant les gens qui ont mal au dos. Finalement, j’ai entamé un cursus de 3 ans à « l’École de Danse Contemporaine de Montréal », appris le classique, le moderne… Pas vraiment ma tasse de thé, mais il fallait passer par là.
Depuis l’obtention de mon diplôme en 2017, je travaille ici et ailleurs comme chorégraphe, interprète, enseignant et facilitateur. J’essaye de représenter au mieux le pays qui m’a vu naître et grandir à travers mes actions et mes réflexions. Car je sais que derrière, il y a les frères, les sœurs, les tontons, les tantines, les paps, les mams qui soutiennent. C’est probablement pour ça que je suis devenu un acharné du boulot. Ce n’est pas facile, c’est parfois ingrat, c’est un chemin solitaire, mais au bout il y a des pépites. Non pas d’or, mais de rencontres et de partages. C’est ainsi que je me nourris, l’argent c’est bien, la richesse spirituelle, culturelle, relationnelle, intellectuelle, c’est indescriptible. On est en 2022, j’ai voyagé et dansé en Allemagne, en France, en Grèce, en Italie et bien sûr au Canada, néanmoins je n’oublie jamais d’expliquer aux gens d’où je viens. Ce que m’a appris la culture hip-hop, au-delà d’être un peu perché, c’est la discipline, la persévérance, l’ouverture d’esprit et le besoin de créer une communauté. Celle-ci m’a connecté avec la culture Kanak avec un de ces aspects fondamentaux : l’humilité. Je pense que c’est très facile de dériver dans l’égocentrisme et d’avoir la grosse tête. Ici, j’ai du travail, de la reconnaissance, de la bienveillance auprès des gens que je côtoie. Pour moi c’est une chance, un privilège qui ne doit pas être tenu pour acquit. Et la sagesse du pays me permet de rester aligné. À présent, j’ai beaucoup de projets à finaliser. Quelques contrats pour continuer de partager auprès des amateurs et professionnels ma pratique « Fluidify », qui tente de connecter toutes les danses et d’aborder la danse de manière systématique pour unifier mes valeurs comme les enjeux de décolonisation, l’écologie, la philosophie, la communauté, la spiritualité.
Des opportunités de chorégraphier de nouvelles pièces, de travailler avec des compagnies d’ici. Avec des amies, on essaye de monter un projet comme le Rex avec des studios de pratique gratuites : « Le Bercail ». Et enfin, un grand projet que je compte mettre en place dans les prochaines années…Je ne peux pas en dire plus. Là je rentre de deux mois de résidence à la Cité des Arts Internationale de Paris, j’ai la tête remplie d’idéaux et d’imaginaires, qui, j’espère, m’aiderai à déconstruire le système impérialiste dans lequel on vit, me rapprocher de la nature et des cultures, et établir les fondations d’une utopie que je recherche fermement. Ça m’apporte sens et réconfort, à défaut de pas être à bord en train de flotter avec vous, sur notre petit caillou. Gros big up a la bande, UBC, RSC, SBC, Thugz, La relève, Marvel, les artistes du pays, la famille. À toutes les personnes rencontrées qui m’ont aidé à tracer le chemin, oléti et le travail continue. Peace, mais n’oubliez surtout pas de regarder le… »
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